[NDLR : les propos ont été édités pour en faciliter la lecture.]

Entrevue avec Steve Joncoux

Chercheur au LLio et co-coordonateur de FabRégion

Comment a été réfléchi le processus, l’évolution ? Quelles sont les étapes pour passer à travers cette réflexion-là ?

Le processus de FabRégion c’est quelque chose d’assez complexe, d’assez organique. Il n’y a pas de recette, disons! Il n’y a pas de méthode prédéfinie, il y a le réseau Fab City dont on s’inspire. Il y a déjà eu des choses qui ont été faites à droite et à gauche, mais il n’y a clairement pas de méthode qu’on peut appliquer, donc depuis le début on essaie des choses, on teste des idées. Pour l’instant, ce qu’on a trouvé qui nous semble le mieux fonctionner c’est les processus qu’on appelle « gestion de la transition ». En fait, la gestion de la transition c’est, comment on amène une société, une collectivité, une région, un territoire à faire une transition, en l’occurrence vers l’autonomie durable. 

Donc là, on a différentes étapes qui nous donnent cette approche-là. Pour le dire en gros de manière simple, la première étape c’est de constituer un collectif, qui est le comité de pilotage qui regroupe les différents acteurs et parties prenantes du projet. À partir de là, l’idée c’est de faire une espèce de portrait d’où on en est dans la situation, à quoi ressemble notre autonomie d’aujourd’hui pour voir quelles vont être les étapes dont on va avoir besoin pour atteindre notre objectif d’au moins 50 %. Une fois qu’on a ce portrait, en fait un peu en parallèle de ce portrait, on commence déjà à travailler en gros :  quels sont les acteurs du territoire qui sont déjà mobilisés ? Quels sont les besoins ? Quels sont les enjeux ? Quelles sont les problématiques pour essayer de partir de la réalité du terrain et de la réalité des acteurs, de leurs besoins, de leurs envies. À partir de là, on fait des scénarios. 

Donc, on va essayer de voir où on voudrait être rendus en 2054. Qu’est-ce qu’on veut atteindre ? En quoi on veut que ça ressemble, en gros, le Bas-Saint-Laurent autonome de 2054, qui est notre objectif. La finalité c’est de tracer la trajectoire entre où on est aujourd’hui, notre point de départ, notre niveau d’autonomie et où on va être rendus en 2054. La trajectoire entre les deux, c’est toutes les étapes par lesquelles on va devoir passer pour se rendre là où on veut aller. Pour le dire de manière simple, notre processus aujourd’hui est évolutif; ça peut avoir changé ou ça peut s’être ajusté d’ici un an en fonction des besoins parce qu’il n’y a pas de recette toute faite et on s’adapte à la réalité du terrain.

« Le processus de FabRégion c’est quelque chose d’assez complexe, d’assez organique. Il n’y a pas de recette, disons! »

Quels sont les types de recherche et où en êtes-vous ?

La recherche dans FabRégion c’est tout un univers et c’est une partie qui est essentielle, mais qui fonctionne un peu comme dans tous les projets, un peu en décalage parce que souvent, le temps de la recherche est beaucoup plus long que le temps de l’action et on ne veut pas attendre les résultats de la recherche qui arriveront dans trois ou quatre ans pour commencer à agir. Donc, les deux fonctionnent en parallèle, les deux s’alimentent, mais pas forcément au même rythme. Tout ça pour dire qu’aujourd’hui, on est rendu à environ la moitié de la première phase, c’est-à-dire la phase d’un premier financement de trois ans pour faire justement la recherche appliquée dans laquelle. Pour vous dire clairement, du point de vue de la recherche, on en est à se poser la question de « c’est quoi une FabRégion ? ». Donc, on est vraiment au tout début, mais en fait, cette question-là, même si elle parait un peu bête et naïve comme ça, elle est vraiment hyper importante parce que FabRégion ça s’inspire du modèle Fab City, mais ce n’est pas la même chose parce que Fab City a été pensé à l’échelle d’une ville, ça a été développé dans des villes très denses, très urbaines comme Barcelone, comme Paris, Boston. 

Nous, on est au Bas-Saint-Laurent et on est à l’échelle d’une région, donc on comprend bien qu’on a des enjeux qui vont être différents. Il faut qu’on adapte ce modèle-là, d’où la question de se dire, c’est quoi les spécificités d’une FabRégion comme le Bas-Saint-Laurent par rapport à Barcelone ou à Paris pour ne pas reproduire des méthodes qui ne sont pas adaptées chez nous et au contraire, développer des choses qui sont vraiment spécifiques. Donc cette question-là de « c’est quoi une FabRégion », elle paraît basique, mais en fait elle est beaucoup plus complexe et c’est pour l’instant le cœur de la recherche d’essayer de dire qu’on prend les spécificités de notre territoire pour ne pas appliquer le modèle bêtement et vraiment faire des choses qui sont adaptées à chez nous.

Quels sont les portraits des secteurs, la méthodologie employée, les résultats préliminaires ? Et une définition simple de l’autonomie.

Dans le processus de FabRégion, une des premières pièces à mettre en place, c’était le portrait pour savoir où on en est dans notre autonomie. Donc, on travaille sur trois portraits, pour chacun des secteurs : agriculture, manufacturier et énergétique. L’objectif fondamental des portraits, c’est de connaître notre niveau d’autonomie aujourd’hui. Sauf que c’est compliqué à faire et c’est pour ça qu’on parle d’autonomie théorique, parce ce qu’on est capable de calculer relativement simplement aujourd’hui.C’est, en gros, ce qu’on produit au Bas-Saint-Laurent, si on prend l’exemple de l’agriculture ou de l’agroalimentaire, ce qu’on produit comme aliment aujourd’hui au Bas-Saint-Laurent et ce qu’on consomme à l’autre bout de la chaîne comme aliment aujourd’hui. Ça nous donne notre autonomie théorique, dans le sens où, ça nous dit « voilà ce qui est disponible et voilà ce qu’on consomme », mais ça ne nous dit pas qu’est-ce qu’on consomme réellement de ce qui est produit sur place.

Donc, ça on est capable de le calculer aujourd’hui et le rapport justement qu’on vient de sortir nous parle de ça, nous donne par exemple qu’aujourd’hui on a 42 % d’autonomie, c’est-à-dire, si on consommait tout ce qui est produit au Bas-Saint-Laurent, ça répondrait à 42 % de nos consommations alimentaires. On comprend bien que de l’autonomie théorique à l’autonomie réelle, il y a un gros pas qui est notamment de mettre en place les circuits courts entre les deux. De mettre en place des circuits de proximité qui relient la production à la consommation, ce qu’on n’a pas forcément aujourd’hui. Donc, là on est en train de finir la production de ces portraits-là pour avoir au moins cette autonomie théorique, puis à partir de là, on va pouvoir commencer à creuser puis à aller plus en profondeur. Entrer dans le détail des filières pour voir comment on relie la production à la consommation pour passer d’une autonomie théorique à une autonomie réelle, c’est-à-dire qu’on consomme réellement ce qu’on produit directement sur place.

Les citoyens et citoyennes du Bas-Saint-Laurent sont invité·e·s à ouvrir le dialogue autour de l’autonomie du Bas-Saint-Laurent dès le mois d’avril. Plus de détails dans la section Fabriquer.