
Entrevue avec Claire Bilocq, administratrice de l’organisme
La Manne Rouge – Je récolte est un organisme communautaire d’insertion socioprofessionnelle situé à Rivière-du-Loup. Il s’agit d’un site verger et maraîcher de production, de culture, de cueillette et de transformation de pommes et de produits maraîchers. Ce projet comporte un volet économique par l’exploitation du verger, la production maraîchère et des cultures complémentaires et un volet social par l’insertion socioprofessionnelle et les différentes actions développées autour de l’autonomie alimentaire.
Source : lamannerouge.ca
« […] avoir un lieu dans notre MRC qui serait dédié à la transformation pour tous les agriculteur·trice·s ou les entreprises maraîchères, ce serait génial! »
1-Lorsqu’on dit « autonomie alimentaire », quels sont les premiers mots qui vous viennent en tête?
Le droit à l’alimentation, la capacité de pouvoir se nourrir individuellement et collectivement. Tout le volet de pouvoir se nourrir et de produire localement, régionalement et nationalement.
2-D’après vous, est-ce que le BSL est capable de devenir autonome dans sa production alimentaire?
En partie, je pense que concernant les fruits, les légumes, la viande et les produits laitiers, oui! Il faut toutefois avoir conscience que nous vivons dans un pays nordique. Ce ne serait pas une bonne idée de commencer à produire des bananes. Le coût énergétique de production rendrait le coût de vente exorbitant! (Rire) Le consommateur doit apprendre à faire des choix alimentaires en fonction de la saisonnalité des aliments.
3-Est-ce qu’on peut améliorer nos circuits de proximité au BSL?
Il y a beaucoup à faire au niveau des circuits courts afin d’unir nos forces et nos ressources humaines et matérielles. Je commencerais localement, à la grandeur d’une MRC. Après ça, régionalement, puis nationalement, en cherchant à être complémentaires. Quand je dis « unir nos forces », c’est dans le but de créer une chaîne où chacun met à profit son expertise, qui s’additionne pour produire collectivement la chaîne. Nous avons un grand bout de chemin à faire au niveau des circuits de proximité pour unir localement la production, la transformation et la distribution.
Par exemple pour la distribution, combien de camions réfrigérés à moitié vides se déplacent de Saint-Jean-Port-Joli à Rimouski, en passant devant Saint-Arsène ou Rivière-du-Loup? Combien de producteur·trice·s pourraient en bénéficier en partageant les coûts et en diminuant collectivement notre empreinte carbone.
C’est donc en ouvrant le dialogue avec les autres producteur·trice·s qu’une base solide de collaboration se construit et peut nous rendre de plus en plus autonomes.
4-Est-ce que vous avez vu dernièrement une augmentation de l’intérêt pour l’achat local?
En ce qui concerne la pomme, on observe une belle croissance de la consommation et de la production au niveau régional. Dans les MRC des Basques, du Témiscouata et de Rivière-du-Loup, à Saint-Cyprien, par exemple, il y a des producteur·trice·s qui ont commencé, ou qui poursuivent, le développement de vergers.
Par contre, les prix proposés par la Fédération des producteurs de pommes est un réel défi. Par exemple, la Macintosh et la Paulared devaient être vendues entre 18$ et 21$ pour 42 livres. Ça fait 0,50$ la livre. Quand on l’offre aux commerçants ou aux restaurateurs et qu’on veut avoir une marge bénéficiaire intéressante pour développer notre service, nous ne sommes pas concurrentiel avec le marché des grandes chaînes d’alimentation. Ça devient difficile de vendre nos pommes. Mais on s’entend qu’à 0,50$ la livre, tu ne vis pas gras avec ça!
5-Vous êtes donc un peu obligé de la transformer?
Oui on la transforme en jus par exemple. Notre pomme est fraîche, de qualité, produite localement et belle, et nous ne trouvons pas toujours preneurs pour l’acheter en lots. Parfois on est limité dans les quantités aussi. On s’est déjà fait demander une livraison de 300 minots de pomme. À nous seul, c’est impossible, mais peut-être qu’en s’associant avec d’autres, on serait capable. On aurait tout avantage de s’associer, tous les producteur·trice·s de pommes de l’Est, pour répondre à des demandes de grands volumes, par exemple.
6-Quels sont vos besoins actuellement, vos freins?
Comme organisme communautaire, nous ne recevons aucun financement. Notre organisme a pour mission de développer l’autonomie alimentaire par des activités de production et de transformation agricoles,incluant un levier d’insertion socioprofessionnelle, tout en favorisant un volet éducatif à la population. On ne peut pas demander aux personnes qui viennent travailler à la Manne, qui n’ont aucune expérience ou formation d’offrir le même rendement. Nous devons en tenir compte.Un financement à notre mission serait l’idéal afin de pouvoir nous donner les moyens de réaliser notre mission.
Puis, on n’a pas de tracteur pour nous aider à gagner du temps dans nos divers travaux. Si on pouvait faire du troc pour des équipements et pour la transformation ce serait génial. Un lieu collectif où on pourrait faire notre transformation, ça serait aussi génial. Puis un réseau de distribution collectif!
7-Présentement, qui sont vos acheteurs de viandes?
Pour le groupe d’achat de viandes, c’est principalement des organismes communautaires qui offrent de l’hébergement ou des repas, comme la Bouffée d’air, l’Autre toit, l’Arc-en-soi et le Carrefour d’initiatives populaires.
Actuellement une étude est en cours pour valider l’intérêt des résidences pour personnes âgées d’adhérer au groupe d’achat de viande. Nous attendons le dépôt final de l’étude qui nous indiquera si nous allons de l’avant ou non.
8-Est-ce que la mise en place d’organisations qui ont le même type de mission que vous, mais dans des créneaux alimentaires, énergétiques, manufacturiers peut-être différents des vôtres, ce serait peut-être une solution ou un levier pour augmenter notre autonomie?
Peut-être, je pense que ça vaudrait la peine de l’explorer, de se parler et de voir c’est où qu’on pourrait être complémentaires et où on pourrait justement s’aider mutuellement.
9-Comment pourrions-nous profiter de la pomme à l’année, au-delà de sa période de production?
Nous aurions besoin d’un entrepôt qui permet de les conserver plus longtemps que dans nos chambres froides qui ne sont pas optimales. De plus, si nous avions un lieu de transformation à la fine pointe, nous pourrions penser offrir nos pommes en quartiers congelées et surgelées.
À chaque année, nous produisons 950 à 1000 litres de jus de pommes non pasteurisé et congelé. Mais le principal défi réside au niveau de la commercialisation. Au moment de produire le jus, les employés ont déjà quitté. Ainsi, la tâche revient aux membres du CA, toutes et tous bénévoles, de voir à la réalisation des ces tâches, puis à la vente.
Nous aurions besoin d’une personne dédiée à la commercialisation. Puis notre emballage n’est vraiment pas optimal pour la congélation et pas attractif comme on le voudrait, mais là encore, ce sont des coûts supplémentaires à prévoir.
Et si on augmente nos tarifs pour payer les dépenses en commercialisation, cela augmentera le coût de notre jus.
Il serait intéressant de sensibiliser davantage la population au coût réel de l’achat local, tout en faisant comprendre que c’est un investissement pour une communauté viable! Si on le voit comme un investissement collectif… ça crée des emplois chez nous, ça nous permet d’offrir des produits qui n’ont pas une surabondance de produits chimiques, d’insecticides, etc. C’est meilleur pour notre santé et notre économie locale, puis évidemment pour notre empreinte carbone.
10-Si vous aviez la recette de l’autonomie alimentaire, ça serait quoi?
J’aimerais qu’on crée un projet pilote. Par exemple, chaque MRC s’entend pour se dire qu’elle est autonome sur deux ou trois produits et développe des commerces complémentaires.
On a réussi à rentrer au dépanneur de St-Épiphane nos produits (légumes, pommes), il faudrait que dans toutes les petites épiceries des municipalités on puisse retrouver ça. Et pas juste ceux de la Manne Rouge, mais de tous les producteur·trice·s.
C’est aussi important de créer la fierté. Moi je pense qu’il faut être fière d’acheter et de produire local. De poser ces gestes-là.
Je pense que les producteurs doivent aussi partager leurs savoir-faire, sans distinction des secteurs de chacun. Il faut créer des communautés de pratique intersectorielle.
Avoir des ententes avec Hydro-Québec parce que ça coûte cher en électricité les entrepôts. Réfléchir à quelles types d’ententes on pourrait avoir pour les petites productions.
11-Quelles sont les trajectoires qui nous mèneront vers l’autonomie durable du Bas-Saint-Laurent?
C’est par le développement social que nous atteindrons l’autonomie alimentaire. C’est un outil de plus qu’on doit se donner comme communauté afin de soutenir la sécurité alimentaire des gens. Ce volet est hyper important. C’est par l’éducation traditionnelle et populaire que nous allons faire la différence. La porte est ouverte pour discuter collectivement de notre pouvoir d’agir et des choix individuels, puis collectifs à prendre pour l’avenir.
Il va falloir s’entendre sur qu’est-ce que c’est l’autonomie alimentaire. Parce qu’on parle d’autonomie alimentaire, on parle de souveraineté alimentaire, de sécurité alimentaire… Ça fait beaucoup de vocabulaire. Je souhaite que le pouvoir de mieux se nourrir localement dépasse le politique. Le politique pour moi, c’est juste un levier, mais ce n’est pas une fin en soi. Donc, que ce soit vraiment un choix qu’on se donne comme région de dire « nous, on veut nourrir notre monde avec des bons aliments, de qualité, nutritifs, qui sont produits localement, qui créent de l’emploi, parce qu’on mérite ce qu’il y a de meilleur et non pas parce que c’est un choix politique ou un choix seulement économique. » C’est un gros défi.
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