«Il y a tous les ingrédients en place avec la biomasse forestière résiduelle [ au Bas-Saint-Laurent] pour se sevrer d’un carburant extérieur à la région et qui contribue au réchauffement climatique.»

Jamal Kazi,
Chargé de projet du Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent (CREBSL)

Entrevue avec Jamal Kazi

Si je vous dis autonomie énergétique au Bas-Saint-Laurent, quels sont les mots qui vous viendraient spontanément en tête ?

Efficacité énergétique, biomasse forestière résiduelle.

Et si je dis biomasse forestière au Bas-Saint-Laurent, qu’est-ce qui vous viendrait à l’esprit ?

Un gisement important, un gros potentiel.

Est-ce que vous pensez vraiment que le Bas-Saint-Laurent est capable de devenir autonome dans sa production d’énergie ?

Mon mandat porte essentiellement sur la filière biomasse forestière résiduelle. Mais je pense que oui, parce que la filière biomasse forestière résiduelle, c’est pour mieux remplacer le mazout qui sert au chauffage dans les résidences, d’une part, mais aussi dans ce qu’on appelle les ICI : les industries, commerces et institutions, ce qui représente à peu près 8% de la consommation des produits pétroliers au Bas-Saint-Laurent. Et quand on regarde la quantité de cette biomasse forestière résiduelle, que ça vienne des usines ou des résidus sur les parterres de coupe en forêt publique ou privée, je crois qu’il y a largement la possibilité de combler les besoins.

La biomasse a surtout des intérêts sur des petits circuits, au niveau local. Comment pourrait-on améliorer ces circuits de proximité ?

Il y a des filières qui se développent en région : le Groupe Lebel, qui a annoncé il y a deux semaines un projet d’usine de granules à Cacouna, destiné principalement à l’exportation; GDS a également une usine à Lac-au-Saumon dans l’est du Bas-Saint-Laurent. Il compte aussi sur l’exportation de la granule industrielle pour les grosses chaufferies qu’on trouve en Europe. On a besoin de granules de meilleure qualité, qui sont déjà disponibles : il y a des fournisseurs au Nouveau-Brunswick, qui alimentent des érablières, par exemple. Le centre communautaire à Saint-Valérien est l’exemple qui vient en tête également. L’hôpital d’Amqui et les réseaux de chaleur à Causapscal et à Rivière-Bleue sont aussi de brillantes vitrines pour cette filière, pour ne citer que ces exemples.

Plus il va y avoir de la demande locale, plus ça va stimuler cette production-là et, en complément, plus il y aura de biocombustibles disponibles localement, plus ça va stimuler la demande.

Donc, on est dans une situation de boucle de rétroaction qu’il faut encourager des deux côtés.

Avez-vous constaté une augmentation de l’intérêt pour les alternatives à la consommation d’énergie, au niveau des entreprises ou des particuliers ?

Je ne suis au CREBSL que depuis la fin 2020, mais déjà je sens un intérêt croissant. Il y a déjà eu une première vague d’intérêt pour le chauffage à la biomasse au Bas-Saint-Laurent, il y a une dizaine d’années, peut-être 15 ans. Depuis, l’intérêt a quelque peu stagné. C’est pourquoi on cherche à stimuler le deuxième souffle qui s’annonce à cette filière.

Car il y a un intérêt, tant du côté de la consommation, que l’on souhaite encourager et faire progresser, et aussi du côté des producteurs, avec le prix des produits pétroliers qui augmentent.

Vous travaillez au Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent. De quoi le CREBSL a besoin pour mener le Bas-Saint-Laurent vers son autonomie énergétique ?

Pour que “la sauce prenne”, on a les ingrédients : on a les producteurs, les équipements de pointe, il existe divers programmes de financement pour faciliter la transition à partir des équipements au mazout pour convertir le système au chauffage à la biomasse. Donc, tout est là. Il reste juste le besoin de faciliter le transfert d’information : ça passe par mettre en contact les fournisseurs de biomasse, de services, puis les utilisateurs, pour que ça prenne son envol. C’est d’ailleurs la raison d’être du projet sur lequel je travaille : colliger et disponibiliser l’information, puis faire du démarchage auprès de clients éventuels pour qu’ils adhèrent à cette filière-là.

Pourriez-vous en dire un peu plus sur votre travail ?

En fait, mon travail se décline en deux volets. Le premier, c’est produire une boîte à outils qui explique aux gestionnaires de bâtiments (on parle des institutions, commerce et industrie, et non le résidentiel pour l’instant) les bénéfices de la filière et les divers éléments à prendre en considération, notamment :

–  L’écoviabilité de la ressource et qualité de la matière première;

– Les considérations relatives au bâtiment (capacité de fournaise, réseau de chaleur, place disponible pour les équipements pour recevoir la biomasse, par exemple);

– Les programmes de financement ou de soutien, subventions et prêts qui sont disponibles;

– En quoi la biomasse forestière résiduelle a une meilleure empreinte carbone que les hydrocarbures.

Ceci est le premier volet. C’est vraiment la base de fournir cette information-là, pour éclairer les gens.

Le deuxième volet consiste en du démarchage. On fera un appel de manifestation d’intérêt une fois que la boîte à outils sera disponible pour dire aux gestionnaires de bâtiments « Voici l’information. Maintenant, on est là pour vous aider à vous mettre en lien avec les firmes de génie conseil et les fournisseurs de biomasse, etc., pour faire les liens requis pour l’installation des équipements. »

Si vous aviez les ingrédients de la recette de l’autonomie énergétique, quels seraient-ils ?

La biomasse n’est peut-être qu’un fragment de la recette d’autonomie énergétique de la région parce qu’on parle de remplacer le mazout. Il y a quand même beaucoup de bâtiments qui chauffent essentiellement à l’électricité, et on ne passera pas nécessairement l’électricité à la biomasse car il n’y a pas d’incitatifs pour faire ça. Mais je dirais que les éléments clés, les ingrédients, ce seraient :

  • Les circuits courts : Ce serait les premiers, parce que, surtout au prix du carburant, plus on met de la distance, moins il y a d’avantages économiques à la biomasse. Je ne parle même pas d’exportation, mais même de livrer passé un rayon de 100 ou 150 km, au-delà duquel ça devient moins avantageux d’un point de vue économique.
  • Un service clés en main : si plusieurs des premières expériences de chauffage à la biomasse au Bas-Saint-Laurent ont bien fonctionné, il y a eu des cas qui ont souffert d’un manque au niveau du rodage et du suivi de la conversion.
  • La connectivité : maintenant, avec Internet, elle est grandement facilitée, surtout que la région est de plus en plus branchée. Ainsi, les fournisseurs de systèmes de chauffage peuvent évaluer le rendement des équipements en temps réel, ces derniers étant équipés de divers senseurs qui évaluent en continu la performance des systèmes. C’est déjà faisable avec les systèmes modernes et la chaufferie à biomasse. On peut voir si la combustion se fait bien: quel est le taux d’oxygène ? Est-ce que la combustion est optimale ? Etc. Et ça enlève un grand poids de sur les épaules des gestionnaires de bâtiments, parce qu’il y a l’expertise pour suivre la performance de l’équipement qui existe, à distance  et disponible en tout temps. 

Donc si je résume: circuits courts, clé-en-main et connectivité.

Avec FabRégion, on pense que plusieurs trajectoires pourraient mener collectivement à l’autonomie productive du Bas-Saint-Laurent, notamment la décroissance, le développement durable et le développement économique. Etes-vous d’accord avec ça ? Y a-t-il d’autres aspects à aborder ?

Oui, ce sont des notions très larges, mais oui, je suis d’accord avec ça. 

Développement économique ou développement durable ? Quand on parle de biomasse forestière résiduelle,  il s’agit des résidus d’activités forestières. Il se fait de la récolte d’arbres, et il se fait de la transformation du bois. En revanche, on ne va pas couper de la forêt juste pour faire des copeaux ou des granules énergétiques: ce serait un non-sens. Donc, il s’agit vraiment des résidus accessoires à l’activité forestière, qui est un moteur de développement économique dans la région. Évidemment, il faut que l’activité forestière se fasse de manière durable. Les forêts publiques et une partie non négligeable des forêts privées au Bas-Saint-Laurent sont certifiées sous la norme FSC®. Je crois que c’est un atout additionnel pour utiliser cette matière ligneuse-là pour chauffer nos bâtiments plutôt que du pétrole d’Arabie Saoudite ou d’Alberta… 

Pour ce qui est de la décroissance, on y est confronté, c’est certain. Si on parle de carburants alternatifs, oui, on peut changer le mazout par de la biomasse. Il faut quand même se donner la peine de voir quels sont les travaux qu’on peut faire pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. Et puis, en parallèle, voir comment changer de carburant de chauffage.

Avez-vous autre chose qu’il vous tiendrait à cœur d’ajouter ?

Je pense qu’on est dans une belle position au Bas-Saint-Laurent. La forêt joue un rôle important et est omniprésente à la grandeur du territoire, donc c’est une ressource qui est à portée de la main et qui contribue à la vitalité des communautés rurales du Bas-Saint-Laurent. Il y a tous les ingrédients en place avec la biomasse forestière résiduelle pour se sevrer d’un carburant extérieur à la région et qui contribue au réchauffement climatique. Et avec les programmes de financement qui existent, l’expertise qui s’est développée, la mise au point des systèmes modernes connectés, je pense qu’il n’y a pas de raison d’hésiter à procéder à cette transition.